Sang Min a un petit soupir peut-être un peu exaspéré tout en joignant ses mains sur son ventre, bien assis dans son fauteuil de psychiatre. Le petit bureau était peu personnel, mais pourtant chaleureux. Il fallait que les lieux invitent à la conversation, histoire que ses patients ne restent pas tous muets comme des carpes. Or aujourd’hui, ce n’était pas à l’homme en face de lui de parler. Sang Min avait remis sa candidature pour un projet particuliers. Un projet qui le pousserait à s’éloigner d’Incheon pour une durée indéterminée. Ça ne lui faisait pas peur. Il était le genre d’homme à rechercher constamment un nouveau défi et il ne laissait pour ainsi dire rien derrière lui. Mais, ils ne recrutaient pas n’importe qui et de fait, Sang Min ne faisait guère exception à la règle. Encore qu’il avait cru comprendre que certains étaient limite suppliés pour y aller. Il ne faisait pas parti de ces chanceux. Pourtant, il était doué dans sa profession et avait des cas à la limite du tolérable par moments. Mais semblerait-il qu’il ne s’était pas encore fait un nom dans le métier. C’était le moment ou jamais.

Ainsi donc, cet homme voulait savoir quelle avait été sa vie jusqu’ici. Il y avait des questions qui frôlaient de trop près sa vie intime... Mais Sang Min était tenu de répondre à chacune d’entre elles avec sincérité. Il en allait de son admission dans ce projet important. Et tout était vérifiable d’une façon ou d’une autre...

Interviewer ; Décrivez votre enfance en quelques phrases.
Sangmin ; Particulière. Je n’étais pas un enfant difficile. Au contraire, j’étais même trop sage. J’ai eu une éducation assez stricte, il faut dire. Presque dès que j’ai su marcher, ma mère m’a fait plonger dans le monde glamour de la danse. Mon militaire de père désapprouvait pour plein de raisons clichées qui font que les militaires croient que les hommes, les vrais, ne devraient pas danser. Ne me regardez pas comme ça. Je ne partage pas ses idées sur le sujet.

Interviewer ; La danse a-t-elle été une part importante de votre vie longtemps ?
Sangmin ; Oui, j’ai été un grand danseur. J’ai fais de nombreuses tournées mondiales dès mes 16 ans et ça n’a pas arrêté jusqu’à ce que j’aie 19 ans. J’ai même habité un moment aux États-Unis pour suivre plus facilement ma carrière.

D’un geste de la main, Sang Min interrompt l’homme qui s’apprêtait à poser une nouvelle question.

Sangmin ; Je sais ce que vous allez demander. J’ai été obligé d’arrêter. J’ai vraiment aimé cette carrière même si c’était exigeant et que ma mère ne m’aurait jamais laissé abandonner tant que j’étais sous sa tutelle. Mais il se trouve qu’un soir, à Broadway, j’ai pigé le numéro malchanceux. Un technicien a laissé une trappe ouverte... je suis tombé et me suis cassé la jambe. Vous savez quand on parle de « mauvaises » cassures ? Eh bien c’est exactement ça. Depuis, il y a certains jours où j’ai de fortes douleurs et je dois éviter de marcher pendant des heures. Donc pas question de continuer à danser. Mais non, ça ne m’empêchera pas de faire mon boulot là-bas.

Interviewer ; Est-ce que vous avez un traitement pour cette blessure ?
Sangmin ; Oui, j’ai des cachets lorsque la douleur est intenable. Mais c’est tout et c’est sans prise régulière. Ça n’alterne en rien mon comportement.

Ce disant, le psychiatre sort d’un tiroir de son bureau un petit pot de cachets qu’il tend à l’homme, histoire qu’il puisse prendre en note le type de médicament et la prescription qui y était reliée. Le nom du médecin aussi si ça lui chantait. Sang Min n’avait absolument rien à cacher à ce sujet.

Interviewer ; Décrivez-vous en quelques mots simples, s’il-vous-plaît.
Sangmin ; Patient. Artistique. Caractériel. À l’écoute. Sérieux. Je suis un peu changeant, c’est vrai, mais ça ne m’a jamais empêché d’être une constante dans la vie de mes patients. Ça s’appelle le professionnalisme et j’en déborde.

Interviewer ; Pourquoi vouloir tout abandonner pour Némésis ?
Sangmin ; J’ai été fiancé jusqu’à tout récemment. Une relation désastreuse. C’est tout ce qui me rattachait encore à ce pays. Depuis que j’ai arrêté la danse, ma mère me boude résolument. Je n’ai jamais été en très bons termes avec mon père. Je n’ai pas de famille. Peu d’amis parce que j’ai beaucoup voyagé et j’ai semé les relations impossibles ça et là... Vraiment, je ne regretterai pas.

L’homme a un regard amusé pour Sang Min. En voilà un qui ne doutait pas, mais c’est exactement de ce genre de personnalité qu’ils avaient besoin alors pourquoi pas ? Le psychiatre sourit à l’homme qui lui répond finalement de la même façon. Se levant, il tend la main. Main que Sang Min serre tout en se relevant à son tour. Visiblement, c’était déjà tout décidé... L’homme demande des documents remis quelques jours plus tôt recueillant des questions plus générales auxquelles Sang Min devait répondre et celui-ci les lui tend avec assurance. Bientôt, sa vie allait changer... Pourquoi pas ? On avait tous besoin de changement et lui plus que jamais...