je ne sais même pas pourquoi on me force encore à raconter ces conneries, c’est pas comme si mon enfance intéressait qui que ce soit ici, bande d’hypocrites. je m’appelle alexis, je sais, c’est un nom peu commun, on me l’a déjà dit – et je suis né en corée du sud. je suis chinois-taiwanais, et mes deux parents le sont donc aussi, c’est bien, vous suivez. mes parents ont émigrés avant ma naissance, supposément pour trouver du travail et gagner plus d’argent et ainsi vivre plus confortablement, pour ce que j’ai compris. en même temps, c’est ça de pondre des gamins en série. oui, j’ai quatre sœurs, mais ce n’est pas important, je ne les ai jamais beaucoup vu, puisque je suis le seul à faire partie de cette « expérience ». c’est beau, le hasard, n’est-ce pas ? il se trouve que je venais de naître et déjà on m’arrachait aux bras de ma mère, totalement consentante soit dit en passant. que voulez-vous, c’est la sélection naturelle, j’étais le plus jeune, le dernier né, et ils avaient d’autres rejetons à nourrir, alors se séparer d’un pour gagner une fortune, vous parlez d’une affaire. à mon humble avis, ils n’ont pas hésité longtemps. mes parents sont naïfs, traditionnels, réservés, discrets. et incroyablement bêtes. ils ont toujours été persuadés de la réussite de l’expérience, pour eux, c’était une chance ! une chance pour moi de devenir un être surentraîné, incroyable, parfait. désolé maman, je ne suis pas le héros dont tu as rêvé. peu importe.

un héros. combien de fois ai-je entendu ça, déjà ? c’est leur façon de s’exprimer. parce que bien entendu, aucun gamin normalement constitué ne comprend le mot « sérotonine ». trafiquer des humains, c’est beau l’avancement. je ne sais pas comment parler de mon enfance, j’évoque toujours les mêmes souvenirs. les mêmes jeux auxquels ils me confrontaient inlassablement en espérant que je les résolve plus vite, mieux, que je trouve les failles et que j’évite les pièges. oh ça, c’est clair, ils ont suivi les instructions. je ne me souviens même pas d’une seule période de ma vie où on a arrêté de m’emmerder avec ces seringues. toujours sur mon dos, alexis ceci, alexis cela, alexis reviens ici, alexis fais ça. ils appellent ça de la stimulation. c’est simple, j’avais toujours quelque chose de pénible, compliqué ou minutieux à faire. apparemment ils étaient censés faire de moi un espèce d’homme sans peur, dévoué aux autres. oui, un héros, le mot était finalement bien choisi.

la peur. c’est un drôle de mot. mais ils ont réussi concernant le sentiment – je ne la connais pas. je ne sais pas ce que c’est. et je ne sais pas si c’est très franchement normal. mais peu importe, qu’est-ce que la normalité ici ? tout le monde est complètement fou, drogué aux mêmes substances idiotes que moi. personne ne vaut mieux que moi, par ici, absolument personne. et croyez-moi, même si je ne suis pas la bête apprivoisée qu’ils auraient tellement voulu obtenir, je reste capable, beaucoup plus capable que la majorité d’entre vous.

ils disent que mon principal problème sont les excès. mais pourquoi est-ce que je n’en ferais pas ? quand je veux, j’obtiens, et c’est bien normal. les excès, haha. c’est ironique, parce qu’à mon humble avis ils ont été excessifs avec ce « programme » d’entraînement. tant pis pour vous. j’en fais trop, oui, peut-être. je ne mange pas assez ou trop, je bois, je goute, je teste, il y a une première fois à tout, et en général, il y en a d’autres derrière. j’aime le plaisir, ce n’est pourtant pas si compliqué. les autres peuvent m’en donner, autant que je peux moi leur faire don de ma personne. au final, on reste dans le protocole, non ? d’une certaine manière. ah oui, c’est vrai, la libido n’était pas franchement visée. oups, comme on dit. je n’ai pas honte non plus. je n’ai pas d’embarras, d’appréhension, d’angoisse, ou quoique ce soit qui s’y apparente. je suis desh- désinhibé ? c’est ce mot-là qui est écrit partout, en petit comme en gros dans mon dossier. il pose un problème, semble-t-il. mais je ne suis pas si raté que ça. au final, n’importe qui prendrait sûrement plus de bon temps avec moi qu’avec n’importe lequel de ces crétins parfaits, fiers de leur tout aussi parfait point zéro. quelle idiotie. je n’ai jamais voulu l’atteindre. pourquoi faire ? je suis au-dessus. qui dit au-dessus, dit mieux. ils n’ont qu’à apprendre à accepter ma supériorité.

pour finir, parfois mes sens me jouent des tours. certains peuvent appeler ça de la bipolarité, mais c'est différent. je pique des crises de colère, des crises de larmes. des crises tout simplement. je ne ressens pas, je ne ressens rien, c'est mon corps, mon cerveau, leur saloperie de drogue, c'est indépendant de moi. ils disent que je pourrais tuer, dans cet état. ils disent que je suis dangereux, que ma situation est très préoccupante. inattendue. mais au final, c'est une question de point de vue. moi je trouve ça marrant.